Rationalité contextuelle et auto-organisation
Résumé
La théorie économique contemporaine voit coexister, souvent en les opposant, plusieurs formes de rationalité: la "rationalité substantielle" de l'agent néo-classique, cet automate parfaitement individualiste que n'effraie aucun problème de calcul et qui, parfois omniscient et parfois non, est toujours au fait de ses propres préférences ordonnées de manière immuable; celle des acteurs décrits par la théorie des jeux, que certains traits rapprochent de la précédente (jeux non coopératifs) alors que d'autres l'en éloignent (jeux non coopératifs et répétés, débouchant sur une coopération à l'issue d'un processus d'apprentissage); celle connue sous le nom de "rationalité limitée" depuis les travaux de H. Simon [1976, 1978], qui oppose aux capacités de calcul infinies de l'agent optimisateur le caractère restreint de celles d'un décideur se contentant plus modestement, et sur la base d'informations toujours partielles, d'atteindre son objectif de manière jugée par lui "satisfaisante"; celle enfin que J. March [1978] qualifie de "contextuelle", et qui met l'accent sur le fait que le comportement de choix participe toujours d'un système complexe d'interrelations entre les différents processus cognitifs et centres d'intérêt de chaque agent, l'ensemble des agents et les structures sociales considérées. .." Chacun de ces concepts présente exactement le même degré de pertinence que le cadre S analytique dans lequel il vient fonctionner,eu égard à la nature du problème posé. Veut-on, par exemple, mettre en évidence les différences d'optimalités existant entre les équilibres respectifs de diverses formes de marché? C'est dans le monde de la rationalité substantielle qu'il faut résoudre ce problème, puisque seules les formes de marché sont ici à prendre en compte et qu'il est donc inutile de faire intervenir d'autres différences, telles celles qui porteraient sur les capacités de calcul respectives des micro-sujets présents sur un type donné de marchés. Par contre, pareilles différences de capacités devraient impérativement être explicitées dans d'autres classes de problèmes, tels ceux qui traiteraient de différences de pouvoirs de marchés précisément mises en correspondance avec les capacités de calcul respectives des unités économiques concernées. Bref, il serait totalement irrationnel de préférer tel type de rationalité à tel autre indépendamment de la nature du problème posé. Il n'existe pas plus de concept de rationalité absolument supérieur à tous les autres qu'il n'existe de rationalité en soi, de sorte que le choix entre les différents concepts doit être une affaire de pertinence opératoire, et non l'expression d'un inébranlable parti pris: la solution rationnelle du choix entre les différents concepts de rationalité relève de l'opportunité instrumentale, non d'une métaphysique. Ainsi, dès lors que nous analysons certains aspects de la décision économique en situation d'incertitude et d'irréversibilité, nous devons rejeter le concept de rationalité substantielle. En effet, au contraire du risque, l'incertitude vraie (non probabilisable) échappe par définition à toute rationalité substantielle, et, comme l'a montré O. Favereau [1989], l'irréversibilité, qui n'existe pas dans une telle conception de la rationalité, peut néanmoins y être réintroduite par le biais du concept de valeur d'option: certes, cette dernière devient ici l'expression monétaire de l'effet-irréversibilité, mais le paradoxe est qu'il faille confronter rationalités procédurale et substantielle pour parvenir à un tel résultat! (...)
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