Alcool : dommages sociaux, abus et dépendance
Résumé
Partie intégrante de notre culture, de notre patrimoine et de nos traditions, laconsommation d’alcool accompagne tous les événements festifs de la vie familialeet sociale.« À votre santé ! », disent, en trinquant, les convives autour de la table.Paradoxe pour un produit qui affecte la santé d’au moins 5 millions de personnesen France, parmi lesquelles 2 millions sont dépendantes. Par ses effets délétères sur le foie, le système cardiovasculaire, le système nerveux et le développement decancers, l’alcoolisation chronique est responsable chaque année de 23 000 décès,et la prise d’alcool de 2 700 décès sur la route. L’importance du problème en termes de santé et de sécurité publiques n’est donc plus à démontrer.Ce n’est pourtant que très récemment que l’alcool a pris sa place parmi lessubstances psychoactives considérées comme dangereuses du fait de ses effetspotentiellement sévères. Ainsi, depuis 1999, les compétences de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt) ont été étendues à l’ensemble des substances psychoactives licites au rang desquelles figure l’alcool, et un partenariat très actif avec l’Inserm a permis le lancement de projets de recherches financés conjointement dans ce domaine.Parce que l’alcool affecte tous les organes, la recherche en alcoologie recouvrel’ensemble des disciplines médicales et scientifiques. L’Inserm contribue àl’avancée des connaissances par une approche pluridisciplinaire qui associebiologie, neurobiologie, physiopathologie, génétique, sociologie, anthropologie,psychologie, et s’étend également à l’épidémiologie et au domaine des sciencessociales. Une vingtaine de laboratoires se consacrent à une thématique derecherche sur l’alcool, et notre Institut s’est engagé depuis 2001, par une actionthématique concertée, à renforcer ce potentiel de recherche en apportant unsoutien financier à de nouveaux projets et en favorisant le travail en réseau deséquipes. En tant que Directeur général, cet effort m’est apparu nécessaire en regard du peu de travaux effectués en alcoologie en France.Depuis plusieurs années, l’Inserm s’est doté d’une procédure d’expertise desconnaissances, dite expertise collective, qui permet d’apporter à nos partenairesune aide à la décision pour la mise en place d’actions en santé publique. L’analysecritique et la synthèse des travaux de recherche au plan international par ungroupe pluridisciplinaire d’experts coordonné par l’Inserm permet de proposer desrecommandations fondées sur des connaissances scientifiquement validées. À cejour, plus d’une quarantaine d’expertises concernant la santé ont été réalisées.C’est à la demande conjointe de la Mildt, de la Cnamts et du Comité françaisd’éducation pour la santé (CFES, devenu l’Inpes) que l’Inserm a réalisé en 2001 unepremière expertise collective sur l’alcool, qui a donné lieu à l’ouvrage intitulé« Alcool. Effets sur la santé ». Cette expertise s’est attachée à évaluer les effets del’exposition à l’alcool au niveau des différents organes, son rôle dans le développement de diverses affections (maladies cardiovasculaires, cancers, cirrhose du foie, anomalies fœtales{) et les avancées réalisées dans la compréhension des mécanismes d’apparition de ces pathologies. Effets néfastes de l’alcool sur la santé mais aussi effets bénéfiques à petites doses selon certains travaux. C’est dire combien il est difficile d’établir des doses-seuil pour les effets de l’alcool d’autant que l’expertise démontre la diversité des effets selon le sexe, l’âge, la corpulence, et les facteurs de risque associés comme par exemple une pathologie hépatique. Par ailleurs, l’expertise montre qu’il existe des différences inter-individuelles dans les effets de l’alcool sur la santé tenant aux modes de consommation, aux habitudes alimentaires et à des prédispositions génétiques. Ainsi, il apparaît indispensable de tenir compte de ces différents éléments dans les campagnes d’information et de prévention. Le présent ouvrage restitue les résultats d’une seconde expertise, engagée à la demande des trois mêmes partenaires, et porte sur les différents contextes d’usage de l’alcool, l’évolution des modes de consommation et les conséquences collectives tant sociales qu’économiques de la consommation excessive d’alcool dans notre pays. Il présente également l’ensemble des données épidémiologiques, cliniques et expérimentales sur l’abus et la dépendance, leurs déterminants et les traitements. Les experts mettent l’accent sur les différences entre les modes de consommation des jeunes et des adultes, des filles et des garçons. Ils soulignent l’importance de ces connaissances pour définir des stratégies de prévention adaptées aux différentespopulations et aux différentes situations (conduite automobile, travail).De mieux en mieux compris, les mécanismes sous-tendant la dépendance révèlentdes similitudes entre les substances psychoactives, qui ont en commun d’activer des réseaux de neurones bien identifiés. Pendant longtemps peu étudiés, les facteurs génétiques de vulnérabilité à la dépendance ouvrent de nouvelles perspectives.Si l’alcoologie clinique a souffert de la lenteur des progrès dans la connaissance dudéterminisme de l’alcoolisation pathologique et de son traitement, elle a surtoutpâti pendant longtemps de la résistance des médecins à s’engager dans la prise encharge de cette pathologie. Cette expertise souligne en effet combien, encoreaujourd’hui, la prise en charge des patients présentant un problème avec l’alcoolest limitée en France, puisque moins de 20 % de ces personnes consultent unprofessionnel de santé, et ceci généralement dix ans après le début des symptômes.C’est donc là que se situe le vrai problème de santé publique qui, pour évoluer,appelle un changement conceptuel et organisationnel des pratiques médicales.Dans ce contexte, je souhaite apporter un soutien institutionnel aux équipes derecherche en médecine générale et promouvoir la mise en place de réseaux demédecins plus particulièrement sensibilisés à la prise en charge des patients ayantun problème avec l’alcool.Il me semble essentiel de faire passer le message que l’alcoolodépendance est unemaladie qui se soigne. Organisées par l’Anaes, deux conférences de consensus, sur les modalités du sevrage en alcoologie (1999) et sur les modalités de l’accompagnement du sujet alcoolodépendant après un sevrage (2001), ont apporté des éléments de référence pour les soignants. En recherche clinique, des progrès restent à faire pour mieux adapter le traitement au profil de chaque patient. Si des raisons biologiques peuvent expliquer l’inégalité des personnes devant l’alcool, les facteurs psychologiques et socioculturels sont loin d’être négligeables. Appréhender l’alcoolodépendance dans sa complexité pour mieux la prévenir et la soigner, tel est bien l’enjeu des actions à venir. Les deux ouvrages consacrés à l’alcool rassemblent une somme importante de connaissances qui devrait fournir aux pouvoirs publics des arguments essentiels pour engager des actions en santé publique et également servir de levier au développement de travaux de recherche dans notre Institut. Je remercie les scientifiques qui ont contribué à ce travail collectif de grande valeur.
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