Appropriations différentielles des normes sanitaires et des restrictions de libertés. - LARA - Libre accès aux rapports scientifiques et techniques
Rapport Année : 2024

Appropriations différentielles des normes sanitaires et des restrictions de libertés.

Résumé

Le projet de recherche ADN-POP : Appropriations différentielles des normes sanitaires et des restrictions de libertés s’inscrit dans une série d’études menées depuis 2020 par l’IFERISS (Institut Fédératif d’Études et de Recherches Interdisciplinaires Santé Société) sur la pandémie de Covid-19 et les inégalités sociales de santé. Ce travail se concentre sur l’acceptabilité et l’appropriation des mesures sanitaires imposées durant la pandémie de Covid-19 dans le quartier du Grand Mirail, à Toulouse, classé parmi les quartiers prioritaires de la Politique de la Ville. Ce quartier, emblématique des vulnérabilités socio-économiques, offre un cadre idéal pour analyser les réactions aux politiques publiques de gestion de la crise sanitaire, dans un contexte marqué par des inégalités profondes et des formes multiples de précarité. L’épidémie de Covid-19 a provoqué une mobilisation sans précédent des États et des autorités publiques pour enrayer la propagation du virus. En France, le gouvernement a instauré un éventail de mesures sanitaires restrictives, telles que les confinements successifs, le couvre- feu, l’obligation du port du masque et le pass sanitaire. Ces mesures, bien que justifiées par des impératifs de santé publique, ont eu des effets très variés selon les populations et les territoires. Le Grand Mirail, déjà confronté à de nombreuses difficultés structurelles (chômage élevé, logement précaire, accès limité aux soins), a été un terrain particulièrement sensible à ces décisions. Le contexte de pandémie a exacerbé les inégalités sociales et territoriales, notamment en matière d’accès à la santé, de mobilité et d’éducation. De plus, les quartiers populaires, comme le Grand Mirail, ont été stigmatisés dans les discours médiatiques et politiques, souvent perçus comme des espaces où les règles sanitaires étaient moins respectées. Cette stigmatisation, combinée aux réalités vécues par les habitants, a engendré des formes variées d’appropriation, de résistance ou de contournement des normes imposées par l’État. La problématique principale de ce projet repose sur la question suivante : comment les populations des quartiers populaires, notamment au Grand Mirail, se sont-elles appropriées les mesures sanitaires imposées lors de la pandémie de Covid-19 ? Quelles sont les logiques sociales, économiques et culturelles qui ont influencé l’acceptabilité des normes restrictives, et comment ces dynamiques se manifestent-elles à l’échelle locale ? Cette étude vise à comprendre les conditions d’adhésion ou de rejet des mesures, à travers une analyse fine des trajectoires et des contextes sociaux dans lesquels elles s’inscrivent. Pour répondre à cette problématique, le cadre théorique de la recherche s’articule autour de deux axes principaux. Le premier, dispositionnel, se concentre sur l’analyse des conditions matérielles d’existence des habitants du Grand Mirail. Il met en lumière comment les rapports sociaux de domination (classe sociale, genre, âge, origine) influencent les dispositions et les logiques d’action face aux normes sanitaires. Le second axe, normatif, s’intéresse aux justifications que les individus mobilisent pour accepter, contourner ou rejeter les normes sanitaires. L’approche de Boltanski et Thévenot (1991) sur les régimes de justification permet d’appréhender les modalités de production d’accord ou de désaccord vis-à-vis des règles imposées, en prenant en compte les dimensions relationnelles et contextuelles des interactions. 5 La méthodologie adoptée dans ce projet est essentiellement qualitative, reposant sur une enquête monographique menée dans le quartier du Grand Mirail. Ce type de démarche permet une observation minutieuse des pratiques sociales et des interactions entre les différents acteurs, tout en inscrivant ces pratiques dans un cadre spatial et temporel précis. Le terrain d’étude, marqué par une forte concentration de populations en situation de vulnérabilité (immigration, chômage, logements sociaux, précarité sanitaire), est un lieu stratégique pour comprendre les formes d’appropriation des mesures sanitaires. Elle se double d’une étude juridique portant sur les dispositifs légaux mis en œuvre durant la période de pandémie et sur les registres de justification employés par les juges (Conseil d’État et Conseil Constitutionnel) ainsi que par les comités d’éthique (Comité Consultatif National d’éthique). Nous avons sélectionné les textes pertinents pour notre étude puis réalisé une analyse critique au prisme de l’acceptabilité. Les outils méthodologiques mobilisés comprennent des entretiens individuels semi-directifs et des focus groups, réalisés tant auprès des habitants qu’auprès des professionnels de proximité (travailleurs sociaux, professionnels de santé, médiateurs). Cette pluralité de points de vue permet de croiser les perceptions des habitants avec celles des acteurs institutionnels et associatifs qui interviennent dans la gestion quotidienne des mesures sanitaires. En parallèle, une analyse documentaire approfondie a été réalisée, incluant la révision de la littérature scientifique et des documents juridiques, afin de contextualiser les résultats de l’enquête dans un cadre plus large, incluant des comparaisons avec d’autres études similaires menées dans des territoires populaires. Ce rapport se structure en plusieurs parties qui retracent les différentes étapes de l’enquête et l’analyse des résultats obtenus. La première partie, consacrée à la problématisation, revient sur les enjeux théoriques et conceptuels liés à l’appropriation des mesures sanitaires en contexte d’exception. Le concept d’acceptabilité est ici revisité à la lumière de la pandémie, en interrogeant notamment les limites de la démocratie sanitaire dans un régime d’urgence. Les logiques de justification, de coercition et de consentement sont discutées, en mobilisant des travaux issus de la sociologie, du droit et de la santé publique. La deuxième partie du rapport s’attarde sur la méthodologie mise en œuvre pour l’étude. Elle décrit les outils et méthodes utilisés pour la collecte des données, ainsi que les limites inhérentes à l’enquête de terrain. Cette section revient également sur la révision de la littérature existante et l’analyse des documents juridiques, qui ont permis de contextualiser les mesures restrictives dans le cadre législatif français. Une attention particulière est accordée à la description du quartier du Grand Mirail, en tant que territoire cumulant les vulnérabilités sociales, économiques et sanitaires. La troisième partie du rapport présente les résultats de la recherche, en s’appuyant sur une analyse thématique des données recueillies lors des entretiens et des focus groups. Trois dimensions principales de l’appropriation des mesures sanitaires sont dégagées : la dimension relationnelle, qui met en avant l’importance des interactions sociales dans la justification et l’acceptation des mesures ; la dimension temporelle, qui interroge l’évolution des attitudes au fil des différentes phases de la pandémie (confinement, couvre-feu, vaccination), mais surtout les formes temporelles des rapports aux normes; et la dimension corporelle, qui explore les effets des restrictions sur les corps et les interactions physiques, notamment à travers les gestes barrières et les nouvelles formes de sociabilité imposées par les normes sanitaires. Ces différentes dimensions permettent de mieux éclairer les interactions entre les 6 conditions objectives d’existence et les processus normatifs à l’œuvre dans l’appropriation des mesures sanitaires. Enfin, la dernière partie du rapport ouvre des perspectives plus larges, en questionnant les registres de justification mobilisés tant par les habitants du quartier que par les institutions publiques. L’articulation entre les discours de justification des autorités et les pratiques locales d’appropriation des normes est ici centrale pour comprendre les dynamiques d’acceptabilité des mesures sanitaires dans un contexte de vulnérabilité sociale. Le rapport se conclut sur des réflexions quant aux conséquences de la pandémie sur les quartiers populaires, en s’interrogeant notamment sur la pérennité des régimes d’exception et leurs effets à long terme sur les populations marginalisées. Ce travail ambitionne ainsi de contribuer à une meilleure compréhension des dynamiques d’acceptation et d’appropriation des normes sanitaires dans les quartiers populaires, en offrant une lecture interdisciplinaire et empirique des formes d’adhésion ou de rejet des mesures restrictives. Il propose également des pistes pour une réflexion critique sur les politiques publiques en temps de crise, en interrogeant la compatibilité entre gestion de crise et démocratie sanitaire. Nous espérons que ce rapport constitue un apport précieux pour l’analyse des transformations sociales engendrées par la crise sanitaire, tout en contribuant à la voie ouverte par l’IERDJ à une réflexion sur les mécanismes d’acceptabilité sociale dans les situations d’urgence.
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Dates et versions

halshs-04848035 , version 1 (19-12-2024)

Identifiants

  • HAL Id : halshs-04848035 , version 1

Citer

Annalisa Lendaro, Emmanuelle Rial-Sebbag, Laurence Boulaghaf, Alfonsina Faya Robles, L. Delporte, et al.. Appropriations différentielles des normes sanitaires et des restrictions de libertés.. 21.40, IERDJ - Institut des Études et de la Recherche sur le Droit et la Justice. 2024. ⟨halshs-04848035⟩
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