Projet Seine-Aval 6 SARTRE « Seine-Amont : Réseaux trophiques estuariens» - LARA - Libre accès aux rapports scientifiques et techniques
Rapport (Rapport De Recherche) Année : 2024

Projet Seine-Aval 6 SARTRE « Seine-Amont : Réseaux trophiques estuariens»

Michèle Tackx
  • Fonction : Coordinateur scientifique
  • PersonId : 1475364
Yoann Copard
Pascal Claquin
Arnaud Huguet
Robert Lafite
Jean-Philippe Pezy

Résumé

⇨ Objectifs Le projet SARTRE a pour but de combler les lacunes sur les connaissances du domaine pélagique en amont du Pont-de-Tancarville et de situer ces apports de données dans l’ensemble de l’écosystème de l'estuaire de la Seine. Ces données (anciennes et nouvelles) doivent aider à élucider les facteurs de contrôles du fonctionnement trophique pélagique et les dépendances entre les différents niveaux trophiques et leurs flux. La quantification du cycle du carbone devrait permettre une vision synthétique du fonctionnement du milieu pélagique le long du continuum amont-aval. ⇨ Matériels et Méthodes Le projet SARTRE a étudié la composition, les concentrations et la distribution spatiotemporelle des matières et quantifié les flux trophiques essentiels entre Honfleur et Rouen. Quatorze campagnes bimestrielles se sont déroulées de mars 2019 à juillet 2021 dans le cadre de SARTRE, auxquelles se sont ajoutées cinq campagnes en 2022, couvrant treize à quatorze stations, échantillonnées en surface, pour étudier le compartiment phytoplanctonique et les matières organiques dissoutes et particulaires. Les communautés de consommateurs (zooplancton et suprabenthos) et le fonctionnement trophique ont été spécifiquement étudiés au cours de cinq campagnes communes à tous les partenaires entre juin 2019 et juin 2022 aux quatre stations estuariennes de Tancarville, Caudebec-en-Caux, Val-des-Leux et Oissel, pour des coefficients de marée moyens et hors période de crue. Une cinquième station, Les Andelys, située en zone fluviale, en amont du barrage de Poses a été échantillonnée afin de caractériser les matières en provenance de cette zone (Fig.1). Les travaux menés dans le projet SARTRE ont en plus servi de socle pour l’étude des effets des clapages de sédiments dragués en amont de la Seine par HAROPA port de Rouen. Le rapport de ces recherches constitue l’ANNEXE III du rapport. Un complément intitulé « Fonctionnalité trophique de l’estuaire vis-à-vis d’un poisson emblématique pélagique : l’éperlan (Osmerus eperlanus L.) » a également été mis en place en juillet 2020, assuré par la Cellule de Suivi du Littoral Normand. Les résultats du suivi DCE poissons sont comparés avec des mesures faites autour du site de la Pâture-aux-rats pour y évaluer les effets des clapages (ANNEXE IV). Des analyses de contenus digestifs de l’éperlan, du flet et du gobie tacheté permettront de compléter le bilan trophique SARTRE jusqu’aux niveaux des prédateurs supérieurs (ANNEXE V). ⇨ Résultats Les campagnes bimestrielles ont montré que les efflorescences des communautés phytoplanctoniques sont dues, au printemps, à des diatomées, qui deviennent progressivement limitées par la concentration en silice. Plus tard dans l’année, on observe des blooms de pico- et nannoplancton, essentiellement de chlorophytes. La productivité primaire particulaire moyenne assurée par les communautés phytoplanctoniques varie de 9,8 à 57,6 g C m-2 an-1 (Fig. 2). On observe une augmentation de la production entre Tancarville et Mesnil/Jumièges et une baisse entre La Bouille et Valdes-Leux. Cette productivité phytoplanctonique ne se traduit pas forcément par une accumulation de biomasse concomitante dans l’estuaire. Ainsi, en amont de Val-des-Leux, la production augmente, tandis que la biomasse diminue (Fig. 2). Ceci suggère l'importance de la sédimentation et/ou des processus trophiques (voir plus loin). Les campagnes communes ont permis des échantillonnages en surface et près du fond à trois phases de marée. Les résultats montrent que les biomasses phytoplanctoniques (Chla) sont comparables au fond et en surface, traduisant un mélange vertical important (Fig. 3). En ce qui concerne les organismes, les résultats des campagnes communes montrent l'existence de deux communautés biologiques spatialement distinctes : une en aval, dominée par des diatomées, des copépodes calanoïdes et la mysidacé Neomysis integer (stations Tancarville et Caudebec-en-Caux) et une en amont, avec une proportion plus importante de cryptophycées et d’algues vertes, de copépodes cyclopoïdes et de cladocères, et très peu de suprabenthos (stations Oissel et Les Andelys). Les communautés de phytoplancton et zooplancton sont similaires à Oissel et Les Andelys, tandis que les organismes arrivant de la Seine fluviale survivent bien jusqu’à Oissel, mais pas beaucoup plus en aval. La zone aux alentours de Val-des-Leux est donc non seulement caractérisée par une baisse de la production primaire, mais forme également la limite de distribution spatiale entre les communautés ‘aval’ et ‘amont’. Les transferts trophiques vers le zooplancton et le suprabenthos ont été quantifiés par différentes méthodes complémentaires. Les résultats montrent qu’en aval (stations Tancarville-Caudebec) la chaîne herbivore (c’est-à-dire la consommation de phytoplancton par le mésozooplancton, qui est essentiellement constitué du copépode Eurytemora affinis) est importante. Le suprabenthos quant à lui consomme majoritairement du détritus. En amont (stations Oissel-Val-des-Leux) nous avançons l’hypothèse qu’il y a, en plus de la chaîne herbivore, une boucle microbienne plus importante (Fig. 4). La pression de grazing exercée sur le phytoplancton par ce double circuit pourrait expliquer le découplage entre la production primaire et la biomasse phytoplanctonique montré en Fig. 2. En effet, la communauté zooplanctonique consomme de < 1 à 17 % jour-1 de la biomasse phytoplanctonique et < 1 à 83 % jour-1 de la production primaire en amont, contre < 1 à 3 et < 1 à 21 % jour-1 en aval. Les résultats combinés des campagnes bimensuelles concernant les analyses géochimiques et moléculaires effectuées sur les Matières Organiques Particulaire (MOP ; particules > 0,7 µm) et Dissoutes (MOD ; particules < 0,7 µm) corroborent en grande partie les résultats sur les communautés. Les signatures isotopiques et moléculaires de la MOP permettant de tracer l’origine de ce matériel montrent sa forte variabilité spatiale le long de l’estuaire. Ainsi, le matériel d’origine continental arrivant par la Seine fluviale se dilue le long de l’estuaire, suite au mélange des masses d’eaux amont et marines (Fig. 5). En effet, les MOP d’origine continentale sont naturellement appauvries en 13C (-30 ‰ à -25 ‰) par rapport aux MOP d’origine marine (entre -21 ‰ et -18 ‰). L’indice moléculaire BIT, qui se comporte inversement à la signature δ 13C, indique la même tendance. Nos résultats ont par ailleurs montré la variabilité temporelle marquée des propriétés de la MOP. A bas débit (< 250 m3 s- 1, principalement l’été), la progression de la masse d’eau marine en estuaire est plus importante qu’à haut débit, expliquant cette dilution progressive du matériel provenant de l’amont. A haut débit (principalement en hiver), la limite de l’influence marine dans l’estuaire se déplace vers l’aval, permettant à la MO terrigène d’origine fluviale d’être transportée plus loin dans l’estuaire qu’en conditions de bas débit. Enfin, à l’amont, le fait que les valeurs de δ 13C de la MOP soient plus négatives en périodes de bas débit qu’en période de haut débit suggère que la part du matériel d’origine phytoplanctonique augmente par rapport à celle d’origine terrestre. Les propriétés optiques des MOD, déterminées par analyses spectrales, montrent également des différences spatiales. Ainsi, l’indice d’humification HIX qui estime le degré de maturation des MOD et représente notamment le matériel d'origine terrestre, augmente de l’amont vers l’aval (Fig. 6). L’indice d’activité biologique (BIX), indiquant la présence de matière organique fraîchement produite dans le milieu, est, au contraire plus élevé à Valdes-Leux et Oissel que sur les stations plus en aval (Fig. 6). Ceci traduit donc des sources et processus de transformation différents le long de l’estuaire de Seine. Plusieurs indices optiques atteignent des valeurs maximales ou minimales (par exemple, HIX et BIX, Fig.6) à Val-des-Leux. Ces éléments conduisent à spéculer qu'il s’agit là d’une zone de circulation locale et de sédimentation. Il est intéressant de noter que les résultats montrent plusieurs corrélations statistiquement significatives entre des données écologiques et biochimiques. Ces analyses multidisciplinaires présentent un potentiel prometteur pour la caractérisation des masses d’eau, leur fonctionnement biogéochimique et la détection de zones remarquables, à mieux considérer pour la gestion de l’estuaire. La compréhension du fonctionnement de la zone pélagique nécessitera également un couplage avec des études hydro-sédimentaires. Afin de pouvoir, à l’avenir, situer le fonctionnement de l’estuaire de la Seine dans un contexte estuarien plus large, les résultats ont été intégrés dans un bilan de carbone. Un schéma de ce bilan est présenté dans la Fig. 8. Ce bilan a également intégré les exo-polysaccharides. Effectivement, la concentration des exo-polysaccharides liés aux particules (B-EPS) constituent à plusieurs stations / mois une fraction aussi importante du Carbone Organique Particulaire (COP) que le phytoplancton. Leur concentration diminue de l’aval vers l’amont en surface et reste environ constante en profondeur. Le COP représente ainsi en moyenne 22,7 % du stock de carbone organique de la colonne d’eau, le COD 77,3 %. Le Carbone Organique Dissous (COD) est constitué en moyen de 13 % d’exopolysaccharides solubles. L’analyse de ce bilan de carbone révèle de nouveau des particularités à Val-des-Leux : des valeurs particulièrement fortes au fond combinées à un stock important de carbone phytoplanctonique (Fig. 8). ⇨ Conclusion Les résultats de SARTRE enrichissent les connaissances sur les niches de distribution des communautés vivantes entre Honfleur et Les Andelys et amènent certains éléments de délimitation des niches écologiques des organismes. Par exemple, des limitations en nutriments ont été identifiées pour les communautés phytoplanctoniques (la silice pour les diatomées, le phosphore pour les taxons non silicifiés). La salinité semble le facteur limitant le développement du suprabenthos en amont. D'autres distributions d’organismes restent à comprendre, comme par exemple pourquoi le calanoïde Eurytemora affinis ne se développe quasiment pas en amont de Val-des-Leux. Les résultats du projet SARTRE indiquent, au sein de l’estuaire, l'existence de systèmes écologiques avec des communautés biologiques et des fonctionnements trophiques différents entre l’aval et l’amont avec une zone intermédiaire entre Duclair et La Bouille où les caractéristiques particulières pourraient résulter de processus hydrosédimentaires. SARTRE a fourni une très grande quantité de données, qui sont compilées dans deux bases de données complètes et fonctionnelles (disponible à la demande via le GIP Seineaval), toutefois, le temps imparti ne nous a pas permis de les exploiter totalement. ⇨ Principales perspectives Afin de bien préparer de nouvelles actions sur le terrain, il serait souhaitable de prendre le temps d'analyser les données de SARTRE plus en détail. Parmi les axes à exploiter, il y a les relations entre les différents facteurs environnementaux, biogéochimiques et écologiques, en distinguant la part de variabilité purement spatiale et la part liée aux autres facteurs environnementaux. Ceci permettrait d’élucider plus spécifiquement les facteurs de contrôle des processus écologiques. Une attention particulière sera à apporter à la zone entre Duclair et La Bouille, pour laquelle les résultats des différentes disciplines et méthodes convergent à démontrer des spécificités propres à cette zone, différentes de celles du reste du tronçon étudié au cours du projet SARTRE. Le potentiel du couplage des données biologiques/écologiques avec les indicateurs biogéochimiques qui est illustré dans ce rapport mérite d'être approfondi et forme un argument fort pour continuer de tels programmes multidisciplinaires. L’exploitation des combinaisons de marqueurs biogéochimiques et de données biologiques/écologiques contribuera à la détection des processus d'intérêts pour la gestion de l’estuaire. Du point de vue pratique, l’organisation des campagnes communes s’est montrée assez compliquée compte tenu des contraintes logistiques et des emplois du temps des participants. Il serait donc fortement souhaitable de combiner toutes les mesures sur des campagnes bimestrielles, de préférence couplées avec des campagnes saisonnières pour le suprabenthos (et le zooplancton).
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Origine Fichiers produits par l'(les) auteur(s)

Dates et versions

hal-04827982 , version 1 (09-12-2024)

Identifiants

  • HAL Id : hal-04827982 , version 1

Citer

Michèle Tackx, Evelyne Buffan-Dubau, Fréderic Azémar, Anaëlle Bernard, Elisa Bou, et al.. Projet Seine-Aval 6 SARTRE « Seine-Amont : Réseaux trophiques estuariens». Centre de Recherche sur la Biodiversité et l'Environnement Université Toulouse III Paul Sabatier; Biology of Aquatic Organisms and Ecosystems (BOREA), Université de CAEN - Basse Normandie, Institut de Biologie Fondamentale et Appliquée; UMR « Milieux Environnementaux, Transferts et Interactions dans les hydrosystèmes et les Sols » (METIS), Sorbonne Université, Paris, France; « Environnements et Paléoenvironnements Océaniques et Continentaux » (EPOC), UMR 5805 CNRS, Université de Bordeaux; Morphodynamique Continentale et Côtière (M2C); Cellule du Suivi du Littoral Normand, CSLN; Laboratoire d’Océanologie et de Géosciences (LOG) UMR 8187 CNRS-Lille 1- ULCO. 2024. ⟨hal-04827982⟩
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