Boigny-sur-Bionne (45), "ZAC de la Clairière". Une villa antique sous le bourg paroissial
Résumé
L’opération de fouille archéologique préventive de la ZAC de la Clairière à Boigny-sur-Bionne (45) s’est déroulée en deux tranches opérationnelles du 30 septembre au 13 décembre 2019 et du 15 mars au 18 juin 2021. Elle s’inscrit dans le cadre d’un projet d’aménagement de ZAC destinée à accueillir 140 logements. L’emprise de ce projet piloté par Nexity Foncier Conseil Centre a fait l’objet d’un diagnostic archéologique réalisé par le Service de l’Archéologie Préventive du département du Loiret, sous la responsabilité de Karine Payet-Gay en octobre 2018. Ce diagnostic a permis d’identifier de nombreuses structures matérialisant une occupation longue, depuis La Tène finale à l’époque contemporaine, avec en point d’orgues la découverte d’une villa antique.
La prescription portait sur deux secteurs localisés de chaque côté de la rue du Vieux Bourg, au contact du bourg paroissial de Boigny. Sur les 27 342 m² faisant l’objet de la prescription, 23 773 m² ont réellement été décapés (12 459 m² en tranche 1 et 11 314 m² en tranche 2). La première tranche opérationnelle a concerné un secteur à l’ouest de la rue du Vieux Bourg et a notamment donné lieu à l’identification de la pars urbana de la villa antique. La partie orientale a été abordée lors de la seconde tranche et a permis le dégagement d’une partie de la pars rustica.
Si quelques éléments lithiques confirment l’idée d’une fréquentation du secteur depuis le Paléolithique, les vestiges immobiliers les plus anciens rencontrés sur le site renvoient au premier Âge du Fer. Des fosses de rejets, un silo et une fosse polylobée ont livré des éléments mobiliers attribuables à la période du Hallstatt C-D et mettent en lumière un possible habitat rural.
À La Tène finale, le site est également occupé par un établissement rural délimité par un enclos fossoyé. Seuls deux côtés de l’enclos ont été identifiés et l’extension maximale de cette occupation reste incertaine. À l’intérieur de cet espace, les vestiges laténiens sont relativement peu nombreux. La principale découverte réside en la présence d’un bâtiment à paroi déportée et double porche d’entrée, caractérisé par un module porteur ancré dans de grandes fosses d’implantation. Le bâtiment s’étend sur une surface de près de 150 m² et s’apparente à une habitation. Régionalement, il est comparable à des bâtiments rencontrés sur des fermes aristocratiques laténiennes, dont l’organisation est spatiale est bien souvent précurseur de certaines villae antiques.
La trame dessinée par l’enclos laténien est d’ailleurs reprise par des murs d’enclos participant d’une vaste villa dont l’érection se situe possiblement aux environs du règne de Tibère. Les indices matériels témoignant de cette première phase d’occupation antique sont limités mais laissent tout de même entrevoir une fréquentation des lieux dans la première moitié du ier siècle de notre ère. Ces vestiges concernent notamment des celliers accolés au bâtiment résidentiel de la villa et un four à chaux à deux gueulards.
Le domaine antique va ensuite se développer durant tout le Haut-Empire. Il obéit à un schéma bien connu où l’établissement est divisé en deux secteurs distincts que sont la pars urbana (partie résidentielle) et la pars rustica (partie agricole). Bien que le site n’ait pas été observé dans sa totalité, les projections des murs d’enclos selon une symétrie régulière permettent d’imaginer une extension minimale de 3,4 ha. La pars urbana est délimité par un enclos maçonné et accueille un grand bâtiment mesurant a minima 14 m sur 58 m. L’absence de niveau de sol, à l’exception de pièces semi-excavées, rend difficile l’interprétation des différents espaces. De plus, des phases de récupération de matériaux ont considérablement bouleversé ou supprimé les maçonneries, rendant particulièrement difficile l’établissement d’un phasage. L’observation des maçonneries conservées (parfois uniquement en fond de tranchée de fondation) et du plan général du bâtiment permet néanmoins de proposer une évolution lors de quatre phases principales, dont le calage chronologique est particulièrement fragile du fait de l’indigence du mobilier. Dès la première phase, il s’étend sur ses dimensions maximales et s’apparente à un grand corps de logis dotée d’une petite pièce aménagée dans l’axe de la construction côté est et d’une probable galerie à l’ouest. Au nord et au sud, des murs s’échappent de l’emprise de fouille en direction de l’est et suggèrent un plan en U ou un plan centré. Lors des états postérieurs, le bâtiment va faire l’objet de travaux de réfection et de cloisonnements. Des pièces semi-excavées sont également progressivement aménagées. Au sud, certaines d’entre elles accueilleront un petit balnéaire lors de l’état 4. Ce petit ensemble thermal est chauffé au moyen d’un praefurnium abrité par une pièce accolée à la façade méridionale du bâtiment. Il est doté d’une pièce quadrangulaire et d’une pièce en abside dont la suspensura s’est effondrée. Le mur de cette abside est percé par une petite canalisation en terre cuite qui permettait l’évacuation des eaux qui provenaient de bains chauffés. Un peu plus au nord, un grand bassin, de 3,50 m sur 5 m, est creusé dans le substrat. Il est conforté par des parois maçonnées et doté d’un sol en béton de tuileau. Là encore, l’évacuation s’opère vers le sud au moyen d’une canalisation disposant de piédroits et d’une voûte maçonnée. Si les deux exutoires ont bien été identifiés, aucun dispositif d’amenée d’eau n’a été découvert. D’un point de vue chronologique, le mobilier collecté sur l’ensemble du secteur permet d’esquisser une période d’occupation de la période tibérienne au début du iiie siècle avec une apogée au milieu du iie siècle de notre ère.
Cette pars urbana fait face à une cour agricole bordée au nord par plusieurs bâtiments en enfilade. Ceux-ci constituent l’aile septentrionale de la pars rustica. La première construction, localisée dans l’angle nord-ouest, correspond à un grand bâtiment technique d’une surface de 520 m². Il se compose d’un grand espace central de près de 200 m² bordé par des pièces de différentes tailles. Au sud, l’accès se fait par une galerie ouvrant sur la cour agricole. Étant donné la profondeur des fondations qui encadrent l’espace central, celui-ci devait être couvert, voire devait supporter un étage. À l’image du bâtiment résidentiel, celui-ci semble avoir connu au moins quatre états distincts, dont la chronologie est là encore difficile à assurer. Globalement, les indices mobiliers recueillis permettent d’attester un usage du milieu du ier au ive siècle de notre ère. Durant cette occupation, le bâtiment se dotera d’un cellier, puis d’une cave maçonnée et d’une pièce semi excavée équipée d’un puissant sol en béton de tuileau peut-être destinée à l’élevage d’animaux. Construit en bordure d’une dépression, le mur oriental subira plusieurs aléas. Deux états de murs en léger décalage ont ainsi été identifiés. Le second sera construit sur radier de fondation, avec un soubassement maçonné au mortier de tuileau, et sera retenu par deux contreforts. Malgré cette évolution technique, la partie sud du mur s’effondrera dans la dépression. Plus tard, au ive siècle, les occupants de la villa mettront à profit cette ouverture pour pratiquer un second accès au bâtiment. Bien que les niveaux de sols soient inexistants dans le bâtiment, des analyses géochimiques ont permis de mettre en évidence des différences notables d’un espace à un autre. Ainsi, certaines pièces pouvaient accueillir du bétail alors que d’autres étaient destinées au stockage. Ces données confirment le caractère multiple des activités pratiquées dans cette grande construction. La présence de bétail est en outre confirmée par l’aménagement d’une fosse à fumures dans la dépression jouxtant le bâtiment. Il s’agit d’une grande fosse de 294 m² dont les parois sont grossièrement maçonnées et le fond est empierré. L’analyse géochimique couplée à aux études micromorphologique et des phytolites corroborent l’hypothèse d’une fosse à fumure. Après l’effondrement du mur oriental du bâtiment, une seconde fosse à fumure sera aménagée légèrement plus au sud. Lors de son abandon, cette dernière accueillera une grande quantité de déchets essentiellement datés du ive siècle. En l’absence de niveaux de sols, la fonction des autres bâtiments de l’aile nord de la pars rustica n’est pas connue. Seul l’un d’entre eux livre une petite pièce semi-excavée dont le fond présente des cupules peut-être destinées au calage de vases de stockage.
Au sein de la partie agricole de la villa, trois fours attestent d’une activité de chaufournier. Le plus ancien est un four à deux gueulards daté de la période tibérienne. Il pourrait témoigner de la première phase de construction du domaine. Deux autres fours sont attribués au Haut-Empire et attestent de phases de réfection de la villa. Un quatrième, identifié à 150 m au NO lors d’un diagnostic de l’Inrap, est daté de l’Antiquité tardive. Alimenté par des blocs architecturaux et des fragments de statuaire antiques, il constitue le témoin des premières phases de récupération de matériaux et donc de l’abandon du domaine.
Si la villa décline fortement au Bas-Empire et que les premières activités de démantèlement s’opèrent, le secteur n’est pas pour autant complètement abandonné, puisqu’une occupation alto-médiévale va se développer du viie au xe siècle. Elle se constitue de zones d’habitats marqués par des nuages de trous de poteau parmi lesquels il est souvent difficile de discerner les plans de bâtiment. Six propositions de constructions légères peuvent néanmoins être évoquées. Ces zones d’habitats se complètent de plusieurs aires d’ensilage et d’une zone accueillant cinq fours domestiques. Enfin, le monde des vivants côtoient le monde des morts puisqu’une cinquantaine de sépultures a été identifiés. Le mobilier étant relativement indigent, ce sont les datations radiocarbones qui permettent de confirmer d’une période d’inhumation comprise entre le milieu du viie et la fin du xe siècle. Seule l’une d’entre elle, localisée face au portail de l’église paroissiale de Boigny, renvoie au xiiie siècle. Une fosse plurielle comptant sept inhumations est installée au sein des ruines de la villa et indiquent le statut particulier qui était accordé aux anciens bâtiments gallo-romains. Cette fosse constitue en effet une exception, puisque les structures alto-médiévales se tiennent globalement toujours en marge des anciennes constructions.
Enfin, la fouille a révélé quelques indices d’une occupation médiévale et moderne, correspondant notamment à un réseau de fossés parcellaires, au passage d’un ancien chemin d’orientation est-ouest et à la construction de deux petits bâtiments – dont un reprenant pour partie des soubassements antiques – probablement en lien avec les fermettes au nord du bourg.
L’extrême proximité tant spatiale que chronologique de la ferme laténienne, de la villa antique, de l’occupation alto-médiévale et du bourg paroissial constitue autant d’argument pour appréhender la question de la genèse du village de Boigny-sur-Bionne. Rappelons ici que l’église se situe dans l’espace sensément occupé par l’aile sud de la pars rustica. Les découvertes réalisées dans le cadre de la fouille permettent d’ancrer les origines de Boigny plus d’un millénaire plus loin dans le temps que la création de l’église paroissiale, et renvoie à un passé prestigieux basé sur la présence d’un grand domaine agricole sous l’égide d’une élite locale.